VOILURES…

Et un jour, ils s’en vont les bateaux…navire brume hampshire
A marée haute, les fonds de cale emplis de souvenirs de terre, d’amours de femmes embrassées avec fougue. Pour qu’elles n’oublient pas ces baisers d’au-revoir quand ils seront allés et qu’il fera tard la nuit dans les grands lits froids
d’absence

qui s’éternise…
Elles ont agité la main longtemps, là-bas sur les quais déjà brumeux de l’automne à venir. S’en sont retournées au logis d’un pas lent, comme celui de ceux qui
montent à l’échafaud.
Elles savent que dans l’âtre, sous le feu qui s’éteint, c’est l’attente qu’elles vont attiser. Elles auront beau souffler sur les braises, raconter des histoires aux enfants pour passer le temps, elles savent déjà
le corps qui se replie sur le désir,
La petite voix qui leur dit « pas avant six mois ma petite »…

Elles guetteront le facteur qui sonne drelin drelin la cloche sur sa bicyclette
quand arrive une lettre.
Alors elles sortent échevelées, en robe de nuit parfois, elles tendent leurs mains affolées vers l’enveloppe bariolée de timbres chamarrés avec des noms exotiques dans le tampon qui fait un rond, souvent plusieurs
pour indiquer la ville d’expédition.
Ils ne disent jamais grand-chose pourtant les Vincent, Gilles ou Gaétan qui sont partis aux antipodes, aux colonies ou plus loin quand ils ont la maison à payer…
Ils reviendront les poches pleines, des cadeaux dans les mains pour celles qui ont attendu et ne demandent jamais s’ils ont été fidèles
Question taboue.
Réponse muette
pour ne pas mentir.
Les premiers voyages, quand ils en reviennent, ils parlent, ils parlent sans s’arrêter. Elles pourraient presque sentir le goût des épices sur leur langue tant ils mettent de coeur à donner le moindre détail de ce
qu’ils ont vu, senti, aimé…
Elles écoutent, rassurées par ces grands discours
envahis d’ailleurs,
un ailleurs qui ne leur a rien pris, qui a rendu leur homme
meilleur.
Elles ne voient pas,
pas encore,
cette eau bleue qui stagne en rebord de leurs yeux
derrière le regard franc…
Elles ne voient pas
Cet angle mort
où se glissent les mensonges
qu’ils taisent
pour ne pas qu’elles souffrent….

©Asphodèle